RUSER AVEC L'INFORMATION : fake news et théories du complot de l’Antiquité à nos jours
La désinformation représente l’un des problèmes majeurs auxquels sont confrontées les sociétés du XXIe siècle où les moyens technologiques de communication sont omniprésents. Malgré une certaine prise de conscience de l’ampleur du phénomène – en 2016, le terme post-truth a même été désigné “mot de l’année” par Oxford Dictionaries –, rien n’a pu endiguer sa diffusion. Depuis la publication en 2017 d’un rapport du Conseil de l’Europe qui alertait sur la gravité des “désordres de l’information”[1], en effet, nous avons assisté à la diffusion de théories du complot pendant la dernière campagne présidentielle américaine (qui culmina dans l’attaque du Capitole par des partisans de Donald Trump), à la naissance des mouvements antivax liés à la pandémie de Covid-19 ou encore à la production d’innombrables fake news dans le cadre du conflit en Ukraine.
La désinformation est souvent présentée comme la conséquence directe des innovations technologiques des dernières années et de l’avènement des réseaux sociaux, mais elle est en réalité un phénomène ancien, bien plus anciens même que la première moitié du XXe siècle – quand les Soviétiques inventèrent le terme Dezinformatsiya – où certains font remonter son origine.[2] On peut en effet considérer la désinformation comme la diffusion d’informations fausses dans le but d’induire quelqu’un à se faire une représentation erronée de la réalité.[3] Ainsi ramenée à sa définition essentielle, la désinformation apparaît clairement comme une forme de ruse, laquelle est l’objet d’étude du projet de recherche pluridisciplinaire et pluriannuel dans le cadre duquel s’inscrit le présent colloque.[4] Le prisme de la ruse permettra de traiter de fake news, d’intoxication ou encore de propagande – c’est-à-dire des formes diverses de manipulation par l’information exercées sur autrui – mais également de conspirationnisme. L’adhésion et la diffusion de théories complotistes, en effet, n’impliquent pas nécessairement une volonté de manipuler autrui mais relèvent de la deception, terme anglais couramment employé pour traduire celui de “ruse” mais qui couvre en outre la notion de self-deception : ceux qui croient aux théories du complot sont généralement dupés par la représentation – souvent simplifiée et manichéenne – qu’eux-mêmes se font de la réalité sur la base d’une croyance en des informations fausses, c’est-à-dire qui ne correspondent pas à la réalité factuelle, laquelle peut apparaître à leurs yeux trop complexe et chaotique.[5]
Comme toutes les initiatives du projet “Ruse”, nous voulons réunir des spécialistes de différentes disciplines (histoire, littérature, sciences du langage, de la communication, psychologie, etc.) afin d’enquêter sur les différentes formes que ce procédé rusé a revêtu au fil des siècles, dans des contextes différents, en mettant notamment en lumière les éléments de continuité ou de rupture. Certaines notions clé occuperont une place particulièrement importante dans cette réflexion, et notamment celles de narration et de vraisemblance – nécessaires à la création et à la diffusion d’une fausse information crédible – et celle de confiance (ou son contraire: la défiance) vis-à-vis des sources dont émanent les informations, car elle représente un facteur essentiel pour la propagation de la désinformation. Ce colloque a donc pour objectif d’approfondir les connaissances relatives à cette forme particulière de ruse qu’est la désinformation mais possède également une visée plus pragmatique car nous sommes convaincus de pouvoir tirer de l’étude de la désinformation et de la manière dont elle a été produite, perçue, et affrontée au fil des siècles, des indices précieux pour mieux cerner ses manifestations actuelles.
Le colloque s’étalera sur plusieurs journées subdivisées en sessions qui seront définies en fonction des propositions de communication qui nous seront transmises et des regroupements thématiques qu’elles nous permettront d’opérer. Comme les deux précédentes initiatives du projet “Ruse”, ce colloque donnera lieu à la publication d’un volume aux Presses Universitaires de Franche-Comté.[6]
[1] “INFORMATION DISORDER: Toward an interdisciplinary framework for research and policy making”, Claire Wardle, Hossein Derakhshan, Council of Europe, October, 2017.
[2] Voir : la définition du terme “désinformation” dans le Trésor de la langue française (cnrtl.fr); Philippe Breton, La parole manipulée, Éditions La Découverte, 2020, p. 63; Vladimir Volkoff, La désinformation arme de guerre, Paris : Julliard/l’Âge d’Homme, 1986, p. 14-15; Aristedes Mahairas and Mikhail Dvilyanski, "Disinformation – Дезинформация (Dezinformatsiya)", The Cyber Defense Review, Vol. 3, No. 3 (FALL 2018), p. 21.
[3] Les définitions fournies par les dictionnaires des principales langues utilisées en Europe et dans le monde occidental en général en atteste : “Action particulière ou continue qui consiste, en usant de tous moyens, à induire un adversaire en erreur ou à favoriser chez lui la subversion dans le dessein de l'affaiblir” (Trésor; cnrtl.fr); “ False information spread in order to deceive people” (Cambridge Dictionary); “Diffusione intenzionale di notizie o informazioni inesatte o distorte allo scopo di influenzare le azioni e le scelte di qualcuno (per es., dei proprî avversarî politici, dei proprî nemici in un conflitto bellico, e sim.” (Treccani); “Dar información intencionadamente manipulada al servicio de ciertos fines” (Diccionario esencial de la lengua española).
[5] Watzlawick Paul, How Real is Real? Communication, Confusion, Disinformation, Confusion, New York, Vintage Books, 1977 [1974]
[6] M. Pretalli, Penser et dire la ruse de guerre de l’Antiquité à la Renaissance, 2021; id., Ruse et magie de l’Antiquité à nos jours, publication prévue juillet 2022.
CALENDRIER ET MODALITÉS DE SOUMISSION
Le colloque aura lieu entre le mercredi 30 novembre et le vendredi 2 décembre 2022 à Besançon.
Nous acceptons les communications en Anglais, Espagnol, Français et Italien.
Pour participer, merci d’envoyer une proposition de communication de 200 mots maximum à michel.pretalli@univ-fcomte.fr avant le 15 juillet 2022.